HORS D’ŒUVRE

Texte rédigé pour l’exposition  Parergon des artistes Nina Patin et Katia Morel à l’Œil de Bœuf,
2015

Pour leur exposition à l’Œil de Bœuf, Katia Morel et Nina Patin font dialoguer leur pratiques respectives d’artistes et mettent en présence photographie, dessin, volume autour d’un concept qui donne son titre à l’ensemble présenté : Parergon.

Jacques Derrida dans La vérité en peinture recense un ensemble de définitions du mot Parergon: littéralement «hors d’œuvre» (ergon venant du grec et signifiant œuvre), mais aussi «objet accessoire étranger secondaire», «supplément», «à côté», «reste». Parerga signifie «ornementations».

«Un parergon vient contre, à côté et en plus de l’ergon, du travail fait, du fait de l’œuvre mais il ne tombe pas à côté, il touche et coopère, depuis un certain dehors de l’opération. Ni simplement dehors ni simplement dedans, comme un accessoire qu’on est obligé d’accueillir au bord à bord»1.

Pour les deux artistes le parergon agit comme métaphore et déploie un possible expérimental: «Nous prenons l’espace de montage comme un temps ou chacune des pièces à la liberté de se transformer, s’imbriquer, d’infiltrer la sphère de l’autre. De la différence des formes naît un espace commun où les limites entre œuvres, matériaux et dispositifs de monstrations tendent à se contaminer».2

La contamination est un des points d’orgue formel dans l’installation de Katia Morel et Nina Patin, convoquant pour se faire et plus ou moins directement trois figures parergonales, que l’on retrouve aussi dans le texte de Derrida : le cadre en peinture, la colonne en architecture ainsi que les vêtements des statues en sculptures.

Ces trois figures affleurent alternativement sous les traits de l’Estropié, dessin d’un corps sculpté, enveloppé d’un drap, faisant face à Fin de collection, photographie d’une architecture qui se déshabille d’une bâche publicitaire, ou sous la lumière d’Armature, light box enchassée dans une structure de cimaise (accessoire muséal ou grand cadre) cohabitant avec deux échafaudages en cuivre, (Spot of rust et l’Estropié), structures dont nous pouvons questionner la fonction (tour à tour socle / cadre / œuvre / colonne ornementale). L’emploi de ces figures formelles invite à questionner l’œuvre et sa limite, ce qui la contient, l’entoure voire la pare.

L’ambiance construite par les deux artistes amène le spectateur dans un moment de reconfiguration; une architecture de chantier est déployée dans l’Œil de Bœuf. L’espace est urbain et en suspension comme peuvent le suggérer deux figures humaines représentées dans l’installation: elles sont perchées en hauteur, l’une minuscule sur le balcon d’un immeuble, l’autre à taille quasi humaine sur un échafaudage. Elles considèrent inlassablement un «en bas» hors champ, hors des limites de l’image, hors d’œuvre.
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1 Jacques Derrida, La vérité en peinture, Malesherbes : Flammarion, 1978, 440p
2 issu du dossier de travail Parergon, Katia Morel et Nina Patin